mardi 20 janvier 2009

Lettre

Posted in by Arthemesia |


A mon père inconnu,

Chaque jour que Dieu fait, je me demande s'il t'arrive de penser à moi. Non pas de regretter, parce que j'en demanderais alors bien trop, mais seulement de songer à mon existence, d'imaginer nos ressemblances, nos différences. Il m'a toujours manqué l'image, l'affection paternelles, je me suis toujours torturée à savoir à quoi tu ressemblais, si tu étais aussi intelligent que maman le prétend. Si tu as un bon coeur, au fond. Si tu méritais qu'elle te défende encore, et qu'elle soit toujours amoureuse de toi, à travers le fruit de son amour, non-réciproque, c'est à dire moi. Moi qui n'ai jamais rien choisi, qui n'ai jamais eu le choix. Je me sens tourmentée, entre l'obligation, presque morale de t'en vouloir et l'envie indolente de t'ignorer. La première solution m'est impossible, je ne peux pas détester quelqu'un que je ne connais pas, pas même de visage, et l'alternative serait comme feindre que je ne souffre pas. Ce qui est faux.

Ces jours qui filent, loin de m'éclairer l'esprit, me troublent plus encore, car mes idées s'emmêlent et se démènent à chercher ce qu'il y a de pis dans mon mal. Parfois, le plus récurrent, c'est le fait de ne pouvoir mettre un visage sur mon géniteur, avec, pour seule consolation de ma mère, l'idée que je puisse m'en faire en regardant attentivement ma face dans le miroir. Dans d'autres jours, l'absence d'affection masculine, qui se montrent parfois sous la forme de pulsions sexuelles typiquement juvéniles (sic). Les autres interprétations de cette douleur, je n'en ai plus le souvenir, elles ne devaient pas être particulièrement pertinentes.

Ce qui est certain, c'est toi, comme ma mère, vous vous êtes montrés égoïstes. Egoïstes, oui, parce que c'est moi qui ai pati de votre histoire, sans début ni fin. Toi, tu n'as jamais pris tes responsabilités, tu ne t'es pas montré clair, et ma mère a vécu dans une totale illusion frisant la niaiserie. Il parait que ma mère n'était pas la seule jeune femme que tu as foutu en cloque, il y en avait une autre, qui a fait le choix d'avorter. Il y a des jours où j'envie l'embryon qui était dans l'utérus de cette femme, ces jours où, on se dit que vivre ne vaut pas la peine de tant de souffrances. Les autres jours, Dieu merci plus nombreux, me font réaliser que sans cette grossesse, à l'origine non désirée, ma mère aurait vécu les quinze dernières années seule, et malade, de surcroît, sans autre (pré)occupation que ses sporadiques bouffées délirantes.

Quoiqu'il en soit, que tu le veuille ou non, tu influe sur ma vie. Peut être bien plus que si tu étais à mes côtés. Cette absence m'aide à me fixer un but, un but précis. A savoir, parvenir à m'installer dans une situation stable qui me permettrait d'être plus forte mentalement à une confrontation. Entre nous deux. Si tu croyais t'être débarrassée de moi, tu te trompes, un jour je te rechercherai. Ce qui est sûr c'est que je ne le ferais pas tant que je ne serai pas installée, je suis une fille très orgueilleuse, tu sais, alors je ne voudrai surtout pas que tu croies que, finalement, au point où j'en suis, je ne valais pas la peine que tu t'occupe de moi. Je voudrais, non pas par vengeance, je te l'assure, mais par amour-propre, que tu regrettes d'avoir perdu tout ce temps, que tu ne pourras jamais rattraper. Et que tu te dise que finalement, ma mère a fait du bon boulot, et qu'elle ne valait pas non plus d'être jetée comme une merde.

Post scriptum : cette lettre respire les non dits, ces choses qui ne parviennent à sortir que difficilement, après une lutte acharnée contre ses propres sentiments. Ces sentiments vicieux qui se font passer pour d'autres. Quoiqu'il en soit, écrite il y a quelques temps, je suis retombée dessus par hasard, je la publie, car malgré toutes ces contradictions, cette lettre, c'est bien moi.

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