A l'heure où la répression prime sur la prévention, où les débats sécuritaires déchaînent les passions, où les mesures contre la récidive se multiplient, il est de notre devoir de vous soumettre la position de notre journal sur la question sensible de la peine capitale, à laquelle nous sommes éminemment hostiles.
Tout d'abord, une question semble fondamentale dans le débat de la peine capitale : Qui, même au nom d'une institution telle que la justice, a le droit de décider légitimement de la mort d'un homme ou de sa grâce ? Personne, car si nous naissons égaux en droits et que ces droits sont inaliénables, comme le prescrit notre si chère Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, rien ne justifie qu'un homme ait la légitimité de décider de la mort de quelqu'un et qu'un autre soit puni pour un acte identique. Cette même Déclaration des Droits de l'Homme, qui pose en grande partie les principes, les fondements de notre démocratie s'oppose à l'idée de mise à mort par l'Etat. Quelle crédibilité aurions-nous aux yeux du reste du monde, en tant que citoyens du pays des Droits de l'Homme, si nous appliquions une sentence aussi contestée par les ligues défendant ces droits ? Il est évident que nous n'en aurions aucune. En outre, l'exécution institutionnalisée de criminels – qui n'en restent pas moins hommes – est extrêmement dégradante, avilissante pour la société qui cautionne cette sentence, pour le juge qui la prononce, et pour le bourreau qui l'exécute.
Nous nous devons de rappeler, de surcroît, que la justice est faillible et que la mort d'un innocent serait une peine irréparable. La peine capitale provoquerait deux victimes pour le prix d'une, mettant le pouvoir judiciaire dans l'incapacité de réparer ses fautes. Admettons que, sous le coup de la fureur, nous soyons tous capables de souhaiter la mort d'un criminel, la justice n'est-elle pas censée apporter à l'affaire du recul, pour ne pas que justice rime avec vengeance et partialité ? Celle-ci doit juger sur des faits et non sur des ressentiments. Enfin, pour que justice soit proclamée, le criminel doit être repenti au terme de sa peine. Or, la peine de mort mène plutôt le criminel à réfléchir sur sa propre vie, et sur sa mort future, plutôt qu'à celle qu'il a ôtée ou aux actes commis. A l'inverse, la prison confronte le détenu à son image de criminel, il dispose de temps et mène un mode vie austère qui le contraint à réfléchir à l'atrocité de ses actes. Les remords qui l'annihileront pendant des années de réflexion et de confrontation avec soi constituent une peine finalement plus punitive que celle de la mise à mort, qui ne le fera pas évoluer, ni même inéluctablement regretter son geste.
En définitive, au nom du respect de l'humanité, au nom de la croyance en une justice impartiale et efficace, notre journal manifeste son opposition, son aversion envers la peine capitale.